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V.N. Voloshinov en contexte : essai d’épistémologie historique

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Le 24 septembre dernier, Inna Tylkowski-Ageeva a soutenu une thèse de doctorat sur l’œuvre de Valentin Voloshinov, à l’université de Lausanne, sous la direction de Patrick Sériot, dans le cadre du CRECLECO (Centre de recherches en épistémologie comparée de la linguistique d’Europe centrale et orientale). Le CRECLECO mène depuis une vingtaine d’années un important travail de traduction de textes russes et russophones dans les domaines de la linguistique et de la philologie, ainsi qu’une entreprise de mise à disposition de nombreux textes en russe en open access. On trouvera entre autres, en cours d’élaboration sur le site, une Grande Encyclopédie des linguistes russes et soviétiques, et d’Europe centrale et orientale et un Lexique expérimental de psychanalyse français-russe. On doit à ce groupe, et en particulier à Patrick Sériot et Inna Tylkowski, la toute récente nouvelle traduction de l’ouvrage si longtemps attribué à Mikhaïl Bakhtine : Marxisme et philosophie du langage.

Cette thèse, intitulée V.N. Voloshinov en contexte : essai d’épistémologie historique, est un événement pour plusieurs raisons : c’est un apport important dans ce qu’il est encore convenu d’appeler les « études bakhtiniennes », et que certains critiques américains nomment depuis longtemps la « Bakhtin Industry ». Il semble qu’en France, où Bakhtine a été introduit vers 1966-67 par Julia Kristeva, et très fortement intallé à la fois en littérature et en analyse du discours, le travail de relecture critique soit un peu plus difficile. La notion de dialogisme appartient en effet à la boîte à couture des analystes du discours et de bien d’autres chercheurs en sciences humaines et sociales. C’est ensuite l’une des premières études en français  sur Valentin Voloshinov, philosophe resté dans l’ombre éditoriale de Bakhtine pendant près de quatre-vingts ans, et sur lequel nous savons très peu de choses. Enfin il s’agit d’une thèse d’épistémologie, ce que je salue avec la plus grande chaleur, cette discipline étant sous-représentée dans les différentes sous-domaines des sciences du langage.

Résumé de la thèse par Inna Tylkowski-Ageeva

Valentin Voloshinov

Cette thèse de doctorat porte sur la pensée de Valentin Voloshinov (1895-1936) et le contexte intellectuel russe du début du XXe siècle dans lequel elle a été élaborée. Le cadre spatial de l’étude est la Russie. Le cadre temporel correspond aux années 1890-1920. Fait dans le cadre des « études bakhtiniennes », ce travail propose une démarche inverse de celle utilisée jusqu’à  présent dans ce domaine. Son objectif est d’explorer les conséquences pratiques de trois hypothèses :

1) Valentin Voloshinov (et non pas Mikhaïl Bakhtine) est l’auteur des textes parus sous son nom dans les années 1920 ;

2) Valentin Voloshinov est un chercheur indépendant de Mikhaïl Bakhtine et de Pavel Medvedev (et non pas seulement un des membres du « Cercle de Bakhtine » ou du « groupe B.M.V. » (Bakhtine-Medvedev-Voloshinov) dont le projet scientifique serait incompréhensible sans le recours aux textes bakhtiniens et/ou de Medvedev) ;

3) La connaissance du contexte intellectuel général dans lequel a travaillé Valentin Voloshinov (c’est-à-dire l’ensemble des textes et des discussions scientifiques qui se sont déroulées dans les revues et les institutions scientifiques autour des thèmes abordés dans les textes signés dans les années 1920 par Voloshinov) joue un rôle de premier plan dans l’interprétation de sa conception.

L’analyse de la terminologie utilisée dans les travaux de Voloshinov (en particulier de la notion d’« idéologie » et de méthode « marxiste »), ainsi que l’examen des idées ayant trait à la philosophie du langage (la réception des idées de Saussure, la polémique avec Rozalija Šor sur des principes de la science du langage « marxiste », la critique de la conception du « mot » de Gustav Chpet), psychologiques (la critique de la théorie psychanalytique de Sigmund Freud, l’élaboration de la notion de conscience, la recherche des bases de la psychologie « marxiste ») et sociologiques (l’analyse de l’interaction socio-verbale et l’élaboration de la théorie de l’énoncé) amènent à  la conclusion que les hypothèses avancées sont justes et que le mode de lecture adopté dans le travail est rentable : il suscite des interprétations différentes de celles proposées jusqu’à  présent.

Il permet, par exemple, de mettre en évidence les particularités du marxisme russe des années 1920 considéré par les intellectuels de l’époque, d’une part, comme une méthode de recherche dont les principes fondamentaux sont le matérialisme, le monisme, le déterminisme (y compris social), la dialectique et, d’autre part, comme une doctrine sociologique. Compris en ce sens, le marxisme fait partie de l’histoire de la sociologie russe qui comprend également des conceptions dites « bourgeoises » ou « positivistes » comme, par exemple, celle d’Eugène de Roberty, qui insiste dans ses travaux sur le primat du social sur l’individuel, autrement dit qui met en avant le principe du déterminisme social souvent associé uniquement au « sociologisme marxisant ». L’œuvre de Voloshinov ne contient pas, par conséquent, d’éléments de « sociologisme vulgaire », elle s’inscrit dans l’histoire des idées sociologiques russes où il n’y a pas de rupture nette entre les conceptions dites « bourgeoises » et marxistes. Le marxisme de Voloshinov n’est pas révolutionnaire. Il ne peut pas non plus être associé aux idées psychanalytiques. La preuve est le refus radical de l’existence de l’inconscient (ou plutôt d’une force inconsciente) qui déterminerait le comportement des individus sans qu’ils s’en rendent compte. Le projet scientifique de Voloshinov consiste à analyser la conscience (les faits psychiques), ainsi que le langage, l’énoncé et les structures syntaxiques dans lesquelles l’énoncé se réalise en tant qu’éléments constitutifs de l’échange social et/ou verbal, qui se trouve au centre de vives discussions menées à la charnière des XIXe-XXe siècles par les chercheurs russes d’orientation marxiste et non marxiste. Pour comprendre ce projet il n’est pas nécessaire de faire appel aux idées de Bakhtine et de Medvedev : la lecture en contexte des textes signés dans les années 1920 par Voloshinov met ainsi en doute l’idée qui domine actuellement dans le monde francophone que Bakhtine serait leur véritable auteur.

Crédits photographiques : L’illustration provient du site Nova Escola, dans un article de Tatiana Pinheiro inttulé “O filósofo do diálogo”.


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